Dossier: L’isolement volontaire des amérindiens en débat. A propos des Mascho-Piro d’Amazonie péruvienne

Depuis quelques mois, le Pérou redécouvre que ses forêts abritent des populations amérindiennes parmi les plus isolées de la planète. De la région du Madre de Dios, non loin de la frontière brésilienne, nous viennent des clichés et vidéos saisissants de membres de l’ethnie Mashco-Piro, laquelle vit dans une situation d’isolement volontaire depuis plusieurs décennies.

Carte du Madre de Dios. Source : Direccion Nacional Técnica de Demarcacion Territorial

Photo 1. Crédits : Fenamad

Photo 2. Crédits : Diego Cortijo/Survival International

Photo 3. Crédits Ron Swaisgood
En 2014, plus de 70 contacts visuels ont été enregistrés avec des Mashco-Piro. L’invasion spectaculaire de la communauté de Monte Salvado, par près de 200 d’individus à la recherche de nourriture et d’objets, à été largement relayée par les médias.
Une vidéo prise en 2015 montre un groupe à l’approche d’un village : https://www.youtube.com/watch?v=y5LUxzgkIeo
La Fédération indigène locale, la FENAMAD, diffuse également des images d’un groupe sur les rives du Madre de Dios, interpellant le cameraman de l’autre coté:
En mai 2015, la mort de Leonardo Perez, un jeune Matsiguenga assassiné dans son village par un groupe de Mashco-Piro, suscite une vive émotion nationale :
Reportage télévision péruvienne Cuarto Poder (juin 2015): https://www.youtube.com/watch?v=TisT06zkrRg
Article paru dans El Pais (juin 2015)
Article paru dans National Geographic (Octobre 2015)
L’isolement des Mascho-Piro dans l’histoire
Du fait de leur isolement, on sait peu de chose sur les Mashco-Piro. Leur langue est proche du Piro (langue appartenant à la famille linguistique Arawak), tout en présentant des différences importantes.
Il est néanmoins établit que la région du Madre de Dios constitue leur berceau historique. Les premiers missionnaires à s’établir dans la zone cohabitèrent avec eux de manière relativement pacifique. Mais l’exploitation du caoutchouc, marquée par l’expédition sanglante de Carlos Fitzcarraldo en 1894, allait bouleverser ce climat. L’arrivée du grand « baron » péruvien du caoutchouc se solde par le massacre de centaines d’amérindiens. L’épisode est d’ailleurs relaté dans un film de Werner Herzog ; « Fitzcarraldo » (1982).

Photo 4. Klaus Kinsky dans le rôle de « Fitzcarraldo », de Werner Herzog (1982)
Pour fuir l’asservissement des exploitants de caoutchouc, les Mashco-Piro optent alors pour l’isolement volontaire et le nomadisme comme stratégie de survie. Plus d’un siècle après ces évènements, on ignore aujourd’hui combien ils sont.
Toutes ethnies confondues, le Ministère de la Culture avance néanmoins le chiffre de 5000 amérindiens en situation d’isolement volontaire ou de contact initial en Amazonie péruvienne. Parmi eux, tous ne pratiquent pas le même degré d’isolement, et l’on parle parfois de contacts « sporadiques » ou « initial ».
Il arrive que des avertissements, comme deux flèches plantées dans le sol en position de croix, signalent aux étrangers de rester à l’écart de certaines zones.

Photo 5. Crédits : Marek Wolodzko/AIDESEP
Dans les années 2000, différents dispositifs de lois internationaux (via l’ONU notamment) et nationaux (loi de 2006) sont développés pour protéger les populations en isolement volontaire et en contact dit « initial ». Ces dispositifs font du respect inconditionnel de l’isolement une garantie du droit à la vie et à l’autodétermination de ces populations.
Mesure de « contact contrôlé »
Face à la « crise » récente des Mashco-Piro dans le Madre de Dios, le gouvernement péruvien propose, en juillet 2015, d’entreprendre des contacts avec plusieurs membres de l’ethnie.
La vice-ministre de la culture, Patricia Balbuena, justifie cette mesure en expliquant que la politique de non-contact n’était plus tenable vis-à-vis de certains Mashco-Piro. Elle dit vouloir « comprendre leurs inquiétudes », afin d’éviter les tensions avec les villages, et de prévenir les épidémies auxquelles ils sont particulièrement exposés.
La vice-ministre emploie alors le terme de « contact contrôlé », qui provoque un vif débat au Pérou comme à l’étranger. Plusieurs évoquent les politiques de contacts forcés avec les populations isolées, pratiqués au Brésil par la Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI) dans les années 1970.
Un compte-rendu de la conférence de presse de la vice-ministre Patricia Balbuena est disponible.
Peu après, une résolution ministérielle dresse les grandes lignes d’un protocole d’urgence vis-à-vis des Mashco-Piro. Le document vise à clarifier la « isolement volontaire » et ses différentes formes.
Protocole d’urgence face aux populations en isolement (juillet 2015)
Le 5 août 2015 enfin, un plan d’urgence pour la prise en charge des indigènes Mashco-Piro est adopté. Le document décrit avec plus de précisions les équipes impliquées dans le le projet, leurs prérogatives, un calendrier des activités et ses budgets, etc.
Plan d’urgence pour l’attention des indigènes Mashco-Piro (août 2015)
Les risques du contact
Plusieurs fédérations indigènes, notamment l’AIDESEP, jugent l’initiative du gouvernement particulièrement dangereuse pour la survie des Mashco-Piro. Un article de Survival fait état de ces critiques.
Les amérindiens isolés sont en effet extrêmement vulnérables face aux maladies infectieuses et virales. Les épidémies sont particulièrement difficiles à endiguer à cause des difficultés d’accès aux zones de contact, du manque de compréhension de la médecine occidentale de la part des indigènes, ou encore de la tendance des groupes malades à se déplacer pour retrouver de la famille. On estime que le délai d’immunisation face aux maladies exogènes est de 4 à 5 générations.
Les effets psycho-sociaux liés aux épidémies sont également très importants. L’impact massif des maladies a parfois provoqué une profonde démoralisation de l’ensemble du groupe, et le rejet des soins.
Plusieurs anthropologues ont également critiqué l’initiative de contact envisagée par l’Etat.
Frederica Barclay qualifie l’initiative de « dangereuse », étant donné les risques d’épidémie.
Beatriz Huertas Castillo dénonce l’avancée des frontières extractives en Amazonie à l’origine des sorties récentes des Mashco-Piro, et l’urgence de protéger leurs territoires.
Bibliographie sur les Mashco-Piro et les populations en isolement volontaire
L’anthropologue Glenn Shepard a consacré plusieurs articles aux Mashco-Piro :
. « Close Encounters of the Mashco kind: Fatal attack by an isolated indigenous group in Peru », janvier 2012:
. « Mashco Piros on the Verge : Missionaries, human safaris, head-ball and a tale af two contacts », septembre 2014.
. Voir aussi l’interview (en français) de Glenn Shepard dans le numéro 276 de la revue Sciences Humaines (décembre 2015).
L’anthropologue péruvienne Beatriz Huertas Castillo a écrit plusieurs ouvrages sur les populations en isolement volontaire au Pérou :
. Los Pueblos Indígenas en Aislamiento. Su Lucha por la Sobrevivencia y la Libertad, IWGIA, n°36, 2002.
. Despojo territorial, conflicto social y exterminio. Pueblos indígenas en situación de aislamiento, contacto esporádico y contacto inicial de la Amazonia Peruana, IWGIA, Informe 9, 2010.
L’anthropologue suédoise Pirjo Kristiina Virtanen a écrit un article en français sur les amérindiens isolés à la frontière Pérou-Brésil :
. « Vivre isolé pour rester en vie : la frontière Pérou-Brésil », Journal de la société des américanistes, tome 96, n°1, 2010.
[1] Version abrégée d’un article paru dans la revue Sciences Humaines (n°276, décembre 2015), intitulé : « Tribus d’Amazonie : la fin de l’isolement ? ».