Prochain séminaire SOGIP « Les enjeux de la cartographie des territoires autochtones » – jeudi 10 avril 9-13h, EHESS Paris
Bonjour,
Nous avons le plaisir de vous inviter à la 6ème séance du séminaire SOGIP 2013-2014 « Perspectives comparatives sur les droits des peuples autochtones » coordonné et animé par Irène Bellier, Directrice de Recherche au CNRS, LAIOS-IIAC et Laurent Lacroix, postdoctorant LAIOS-SOGIP, le jeudi 10 avril 2014. De 9 h à 13 h.
La séance se déroulera en salle du Conseil A au sous-sol, EHESS, bâtiment Le France, 190 198 avenue de France, 75013 Paris. Ouvert à tous.
Séance : Les enjeux de la cartographie des territoires autochtones
La cartographie connaît un regain de popularité dans le traitement des questions autochtones. Qu’il s’agisse de définir des territoires aux fins de reconnaissance, ou d’identifier les ressources qu’ils contiennent, pour les protéger ou pour les exploiter, les autochtones sont aujourd’hui conduits par divers moyens à représenter leurs territoires avec de nouvelles techniques et selon des modes de représentation tout aussi nouveaux – principalement destinés à plusieurs types d’interlocuteurs (ONG, société civile, Etat, entreprises). Nous examinerons la nature de certains projets cartographiques concernant des territoires autochtones, les modalités de fabrication de cartes, leurs usages et leurs finalités pour évaluer l’importance de tels outils dans la mobilisation des peuples autochtones pour la revendication ou la défense territoriale. Nous nous intéressons aux effets multiples de la cartographie des mondes autochtones dans la perspective ouverte aujourd’hui, et toujours problématique, d’un monde entièrement balisé.
Irène Hirt (Département de géographie et d’environnement de l’Université de Genève) – Cartes et revendications territoriales autochtones : controverses et paradoxes.
La cartographie en contexte autochtone (produite par ou pour des organisations ou des communautés autochtones) poursuit plusieurs objectifs: défendre des droits à la terre et au territoire ainsi que des droits pour le contrôle et l’accès aux ressources naturelles ; revitaliser la culture et l’identité autochtones, entre autres en favorisant des processus de réappropriation de l’histoire, des savoirs locaux, et du lien culturel et spirituel au territoire ; décoloniser les imaginaires et les récits hégémoniques de la nation et du territoire. Cette cartographie, qui mobilise principalement le langage, les techniques et les modes de représentation de la cartographie étatique moderne, porte toutefois à controverse, aussi bien aux yeux des individus et des groupes autochtones concernés que des chercheurs œuvrant dans ce domaine de recherche-action. Elle est considérée comme un outil à « double-tranchant »: d’un côté, elle s’avère quasiment incontournable pour défendre des droits fonciers ou territoriaux au sein des Etats concernés, favorisant en outre, dans bien des cas, des processus d’« empowerment » social et territorial; de l’autre, de par son inscription dans un contexte de domination politique et culturelle, elle tend simultanément à imposer des présupposés spatiaux, épistémologiques et ontologiques aux peuples autochtones, fragilisant leurs propres modes de construction du savoir et leurs propres territorialités. Les principaux enjeux, paradoxes et controverses autour de cette cartographie seront examinés dans la première partie de cet exposé. Dans la seconde, des exemples concrets seront proposés, sur la base de plusieurs expériences de recherche menées au Chili, en Bolivie et au Canada.
François-Michel Letourneau et Fabrice Dubertret (CREDA-IHEAL) – Rendre explicite une présence invisible: vers un atlas mondial des territoires autochtones.
Le territoire se place au coeur des sociétés autochtones. Si la reconnaissance de droits territoriaux différenciés est indispensable au maintien de l’intégrité culturelle et économique de ces peuples, elle reste subordonnée aux Etats englobant ces sociétés. Or, ces mêmes Etats voient souvent dans la reconnaissance de droits territoriaux différenciés un frein à leur développement, d’autant plus que ces terres sont souvent riches en ressources naturelles. Ainsi, les réponses des Etats aux revendications territoriales autochtones présentent une grande variabilité.
Par une approche géographique de la question autochtone, centrée sur la question territoriale, le présent projet vise à l’élaboration d’un Atlas mondial recensant les territoires reconnus, revendiqués, ou occupés par les peuples autochtones. La mise en place d’une catégorisation globale des régimes de reconnaissance territoriales rendra possible une comparaison mondiale des réponses offertes par les Etats. Aussi, une approche collaborative permettra la confrontation de différentes sources d’information, telles que les informations officielles des Etats, les apports des ONG et les contributions directes des peuples autochtones, dressant un aperçu complet de la situation et des controverses entourant la question territoriale autochtone.
Samuel Diéval (RainForest Foundation) – Cartographie pour les droits dans le Bassin du Congo.
Deuxième par la taille après l’Amazone, la forêt tropicale humide du bassin du Congo couvre plus de 180 millions d’hectares et s’étend à travers toute la République Démocratique du Congo (RDC), la majorité de la République du Congo, le sud-est du Cameroun, le sud de la République Centrafricaine, le Gabon et la Guinée équatoriale. Cette zone constitue un régulateur vital du climat de toute la région, un puits de carbone d’importance mondiale et une vaste réserve de biodiversité. D’après certaines sources, l’Homme serait présent dans le Bassin du Congo depuis plus de 50000 ans et la population, essentiellement rurale, y est aujourd’hui estimée à 50 millions d’habitants. Elle comprend environ un demi-million d’autochtones chasseurs-cueilleurs couramment appelés « Pygmées », la plupart menant encore, et au moins partiellement, un mode de vie nomade. La forêt constitue une ressource absolument vitale pour les populations locales. Elle leur apporte nourriture, eau, refuge, pharmacopée tout en représentant un élément essentiel de leur culture et de leur sphère spirituelle. De façon générale, les régimes fonciers des pays du bassin du Congo confèrent à l’Etat la propriété de l’ensemble du territoire national. Ceci implique que les communautés locales et autochtones n’ont pratiquement aucun contrôle ou titre légal reconnu sur les territoires qu’elles occupent traditionnellement. Aujourd’hui, une grande partie des forêts de la région a été allouée à titre de concessions à des sociétés forestières, agricoles et minières, dont la plupart doivent encore renforcer leurs considérations sociales et environnementales. Il est largement reconnu que l’absence de reconnaissance des modes coutumiers d’occupation et d’utilisation des terres et ressources forestières est source de conflits et d’insécurité et peut entrainer l’augmentation de la pauvreté, la destruction de l’environnement et la violation des droits de l’homme et des peuples.
La cartographie participative est un outil qui permet aux communautés forestières et peuples autochtones de mettre en évidence avec précision les terres qu’ils occupent et utilisent, et qu’ils peuvent utiliser pour sécuriser des droits sur les terres et les ressources forestières. Rainforest Foundation UK et ses organisations partenaires dans le bassin du Congo (Organisations non gouvernementales, agences gouvernementales, institutions spécialisées) mettent en œuvre des projets de cartographie participative dans le bassin du Congo depuis plus de 15 ans et ont développé des approches méthodologiques et des outils technologiques, comme l’Accompagnement des Communautés à la Cartographie de leurs Espaces de vie Traditionnels (ACCET) et la base de données géo référencée MappingForRights.com, pour accompagner les communautés forestières dans la promotion de leurs droits aux terres et aux ressources.
En fin de séance, nous aurons également le plaisir d’accueillir Nirupa Dewan (enseignante, Ligue des Droits de l’Homme du Bangladesh) actuellement en Europe pour témoigner des violations des droits humains perpétrées à l’encontre des peuples autochtones du Bangladesh et en particulier des femmes, notamment dans les Chittagong Hill Tracts. Avec Paul Nicolas (géographe, Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-Marseille), ils nous présenteront la situation actuelle des Jummas (Chittagong Hill Tracts, Bangladesh), à travers un ensemble de cartes. Ils montreront comment ces derniers ont été mis à l’écart à partir du 19ème siècle, puis en partie dépossédés du contrôle de leur territoire à partir du milieu du 20ème siècle.