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« Défendre la vie en temps de pandémie » / article d’opinion de Raúl Romero sur le mouvement autochtone mexicain

by sur 02/09/2020

Défendre la vie en TEMPS de pandémie

            Raúl Romero (sociologue)

La pandémie de coronavirus s’est présentée aux peuples en résistance dans un moment de guerre menée sur plusieurs fronts : économique, militaire, politique et médiatique. En plus de la lutte contre les mégaprojets d’aménagement, de la résistance contre les violences étatiques, paramilitaires et du crime organisé, de l’offensive médiatique et du discours officiel qui les présente comme des ennemis, ils doivent maintenant s’organiser pour survivre à la nouvelle menace que représente le coronavirus.

Il suffit de visiter la page officielle du Congrès national autochtone (Congreso Nacional Indígena ; CNI) pour se rendre compte du fait que, même pendant la pandémie, les attaques contre ces communautés n’ont jamais cessé. Rien qu’entre le mois de mars et le mois d’août, plus de 40 plaintes ont été recensées, allant des menaces, arrestations et confiscations jusqu’aux actes de torture, séquestrations et massacres. Une attention médiatique particulière a été portée sur le massacre commis envers le peuple Ikoots, dans l’état d’Oaxaca, ou encore concernant les actes de spoliations et les agressions à l’encontre des membres de l’Ejido Tila, dans l’état du Chiapas. L’assaut mené par des groupes paramilitaires le samedi 22 août dernier, visant des bases d’appui de l’Armée zapatiste de libération nationale (Ejército Zapatista de Liberación Nacional ; EZLN) achève de nous esquisser le contexte de guerre dans lequel se retrouvent les communautés et leurs organisations.

C’est au milieu de ce contexte guerrier que ces organisations ont dû se consacrer à la tâche de mettre en place des mesures pour affronter la pandémie de coronavirus. Dans les régions zapatistes du Chiapas par exemple, l’EZLN a appelé ses bases d’appui communautaires à adopter des mesures sanitaires basées sur des connaissances scientifiques, et depuis mi-mars des espaces tels que les caracoles et d’autres centres de résistance se sont confinés afin de faire face aux risques de contamination.

Le réseau de structures de santé dont disposent les communautés zapatistes est d’ores et déjà reconnu dans la région. Pendant la Petite école zapatiste (Escuelita zapatista), en 2014, les bases d’appui zapatistes ont exposé à leurs élèves comment s’organise un système de santé par le bas et venant de l’intérieur des communautés, ce qui permet une meilleure connaissance de leur situation culturelle et linguistique. Portant une attention toute particulière à l’aspect préventif de la santé et à l’alimentation, ce modèle de santé existe grâce au travail incessant des hommes et femmes exerçant la charge de promoteurs de santé, au sein des maisons de santé communautaire, des micro-cliniques et cliniques, mais œuvrant aussi dans les laboratoires, dans l’édition de livres et brochures ou encore dans la formation en matière de santé.

Dans le système de santé zapatiste se mêlent la médecine traditionnelle et la médecine moderne, la base de ce modèle étant de penser la santé comme un processus communautaire et intégral, dans lequel l’aspect physique, mental et émotionnel sont à considérer comme un ensemble. Dans cette conception, on pense que la santé individuelle et collective est intimement liée à l’état de santé de l’environnement et de la nature.

Au sein du CNI, les communautés et leurs organisations se sont livrées à la tâche de partager, via des programmes diffusés par radio, plusieurs de leurs témoignages concernant ce que signifie pour eux le fait de défendre la vie en temps de pandémie. Ces programmes permettent d’en apprendre davantage sur l’importance des chaînes de radio communautaires à partir desquelles sont partagées des informations adaptées, traduites et adéquates au contexte culturel de ces organisations.

Les derniers mois ont été un moment de création ou d’adaptation de stratégies propres aux communautés autochtones et paysannes et ajustées à leur vie quotidienne, telles que le mot d’ordre « quédate en tu comunidad » : reste dans ta communauté. Les jeunes générations ont également tenu un rôle clé en aidant à la création et à la mise en place de podcasts à la radio, d’infographies et de brochures d’information. Leur participation a également permis d’utiliser de manière efficace les réseaux sociaux et plateformes digitales, qui, en plus de leur rôle pour informer ont aussi été utilisés pour combattre la désinformation et la diffusion de fausses informations.

D’autre part, l’accent a été mis sur la promotion de la santé préventive, dans le but de renforcer les défenses immunitaires par une bonne alimentation et la médecine traditionnelle. On a de plus mis en place des confinements sanitaires et, à plusieurs reprises dans des communautés faisant l’objet de flux migratoires importants, des centres d’observation ont été établis afin de prévenir les contaminations.

Dans d’autres communautés, des « comités de santé et de résistance » et autres « comités d’alimentation et de résistances » se sont mis en place, et, dans ces cas-là, ce sont les communautés elles-mêmes qui se sont consacrées à la tâche d’obtenir des fournitures médicales pour les besoins de la communauté. Ils livrent un exemple radical de santé communautaire et autogérée.

En ces temps particuliers, le travail des accoucheuses et sages-femmes s’est montré indispensable, y compris dans les zones urbaines où leur importance n’est désormais plus à démontrer.

Une attention particulière a également été portée au rôle des personnes les plus âgées des communautés comme l’expose une femme membre du Collectif Suumil à Sinanche dans l’état du Yucatán : « Alors que le système considère les anciens comme des êtres sacrifiables, bons à jeter, au contraire dans notre communauté, nous nous efforçons de prendre soin d’eux, de les protéger ». Nous avons besoin des anciens et anciennes, ils nous racontent l’histoire d’autres peuples et communautés, c’est en eux que réside la mémoire historique des catastrophes passées qu’ont vécues leurs ancêtres.

Il y aurait bien d’autres aspects de ces expériences à évoquer, en ce qui concerne par exemple l’économie et la sécurité, mais aussi en ce qui concerne les formes d’imaginaires que les communautés ont dû créer pour poursuivre leur travail de résistances en temps de pandémie.

L’EZLN et le CNI forment sans aucun doute l’articulation politique la plus solide en mettant en place une résistance « par en bas et à gauche » face au gouvernement mexicain actuel. Ils et elles proposent de construire un monde en dehors des limites établies. Un monde fait de démocratie, de liberté et de justice. Un monde sans capitalisme ni patriarcat. Il s’agit d’une réelle alternative civilisationnelle. Ce sont des initiatives qui gênent ceux qui pensent qu’il est possible de rendre le capitalisme plus humain, et qu’il n’est pas possible de vivre autrement, en dehors des limites du capitalisme. Il leur paraît impensable que les peuples osent parler d’un autre monde et qu’ils s’attèlent à le construire, c’est pour cela qu’ils leur font la guerre.

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